« Votre frère malheureusement n’est pas tombé sur un professionnel de la torture »

Il y aurait pu avoir un air de déjà-vu, déjà entendu, de mille fois répété depuis ce 14 janvier 2011, jour de la chute du dictateur Ben Ali. Des familles de victimes portant avec elle colère, dignité, et portrait de leur fils défunt, des dizaines de caméras prêtes à attraper le premier accrochage, des micros qui orchestrent le concours de la parole la plus véhémente, un défilé soigneusement orchestré d’apparitions très politiques, l’ennui, malgré soi, malgré la compassion d’usage, d’avoir à réécouter ces témoignages qui attestaient, au lendemain de la révolution, de la réalité d’une dictature à huis clos dont « les amis de la Tunisie » taisaient le nom. Tout cela aurait pu avoir lieu dans cet événement qualifié d’historique : deux soirées durant, la Tunisie va suivre, en direct, sur plusieurs chaînes nationales, sur Youtube, sur Twitter, partout, le témoignage de victimes de la dictature. Des dictatures, puisque les témoignages remontent à l’indépendance du pays, en 1956. Mais il n’y eu pas spectacle. Il y eu des mots calibrés, des phrases comme des coups de poignards dans la chair de l’oubli. Non ce soir-là n’est pas un prétexte à une réconciliation de surface. Ce fut une gifle qui garde la conscience éveillée, un coup de poing contre la mémoire oublieuse, parfaitement orchestré par une IVD pourtant si souvent décriée, debout dans la tempête, avec à sa tête la maîtresse de ce qui fût tout sauf une cérémonie, Sihem Ben Sedrine. Et cela allait avoir lieu au club Elyssa, jusqu’ici connu dans l’imaginaire tunisien comme la résidence de Leila Ben Ali.

Puis la mémoire de Nabil Barakati est évoquée, dans ses moindres détails. Autre mise à nu du système, pièce douloureuse d’un puzzle qui sera encore long à reconstituer. Nabil Barakati est mort sous la torture lui aussi, mais en 1987. « Votre frère malheureusement n’est pas tombé sur un professionnel de la torture » avait-on déclaré à son frère Ridha, qui témoigne. Nous ne sommes qu’au début d’une longue soirée. Durant les trois heures de témoignages qui suivent, nous ne trouverons plus de limites au cynisme, et notamment celui des juges, rouage essentiel de la machine répressive.

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